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  • Photo du rédacteurNathalie Palayret

Se souvenir de la Comtesse


"Comtesse de Ségur née Rostopchine", cette signature fonctionne pour ma mémoire comme un sésame qui m'ouvre les portes de mon enfance.


Dans le petit village normand où j'ai grandi, on ne pouvait acheter des livres que chez le marchand de journaux. L'offre de littérature jeunesse s'y limitait aux Bibliothèques Rose et Verte.


Petit à petit, j'y ai acheté tous les romans de la Comtesse de Ségur, à l’exception des "Mémoires d'un âne" et du "Général Dourakine" dont les titres faisaient pour moi office de repoussoirs.


Il y a trois ou quatre ans, alors que je commençais à exercer mon activité de bibliothérapeute, j'ai retrouvé chez un bouquiniste un exemplaire des "Petites filles modèles" dans l'édition que je possédais quand j'étais enfant. Ces retrouvailles m'ont permis de confirmer deux hypothèses sur lesquelles je travaillais alors.


La première est que l'objet-livre, sa couverture, son poids entre nos mains... ont un rôle à jouer dans notre expérience de lecture (cette remarque vaut pour les livres numériques dont la lecture s'attache à des expériences sensorielles).

La seconde est que certaines de nos lectures, parce qu'elles ont provoqué un phénomène de résonance avec nos préoccupation du moment, restent pour toujours accessibles à notre mémoire émotionnelle.


"Les petites filles modèles" occupent une place toute particulière dans ce que j'appelle ma "biographie de lectrice". De la Comtesse de Ségur on cite plus souvent "Les malheurs de Sophie". Si je trouvais ses bêtises tour à tour distrayantes ou effrayantes (les petits poissons coupés, par exemple), le personnage ne m'intéressait pas outre mesure. Sophie faisait des bêtises et il lui arrivait des malheurs. Je ne voulais pas qu'il m'arrive des malheurs bien sûr, mais je voulais encore moins faire des bêtises.


S'il est un personnage qui retenait toute mon attention, c'est bien "Camille-et-Madeleine". On m'objectera qu'il s'agissait de deux personnages bien distincts, deux sœurs ayant des caractères singuliers et différents. Pour ma part, je n'ai jamais su les distinguer et c'est leur dyade qui me fascinait.


"Camille-et-Madeleine" était "bonne, gentille, aimable" selon les mots de la Comtesse. C'était là pour moi un idéal à atteindre. Je n'ai jamais un tel idéal, bien sûr, et je souffrais beaucoup de cet échec. Ce livre me proposait un modèle et la marche à suivre pour s'y conformer. Mais sans doute, je m'y prenais mal ou mes efforts étaient insuffisants : je n'y arrivais pas.


La Comtesse de Ségur n'est pas à blâmer. Ce n'est pas l'écrivain qui cherchait à imposer son modèle mais bien la petite lectrice que j'étais qui s'était emparée de "Camille-et-Madeleine" pour nommer et mettre en scène ses angoisses et aspirations.


A rebours de ma lecture de modèle de perfection, dans sa préface la Comtesse insistait même sur les défauts de ses personnages :


"Mes Petites filles modèles ne sont pas une création ; elles existent bien réellement : ce sont des portraits ; la preuve en est dans leurs imperfections mêmes. Elles ont des défauts, des ombres légères qui font ressortir le charme du portrait et attestent l’existence du modèle."

En devenant adulte, j'ai renoncé à être parfaite. Ou plutôt, j'ai fait le choix mature et éclairé de ne pas être parfaite, de voir dans mes imperfections mêmes des ombres légères qui attestent de mon existence, pour paraphraser la Comtesse.


Ce cheminement ne s'est pas effectué "contre" la Comtesse de Ségur, mais bien grâce à elle. L'écho de la lecture des "Petites filles modèles" m'a toujours accompagnée. Il prenait peu à peu la place qui lui revenait : celle d'une image créée par la littérature pour me distraire, m'émouvoir, m'interroger et grandir à mes côtés.



 

Aller plus loin



Ecouter le premier chapitre des "Petites filles modèles"




Découvrir la vie et l'oeuvre de la Comtesse de Ségur

une série de podcasts de France Culture à écouter (ici) et une page de France archive synthétique et bien faite (ici).


Lire "Les petites filles modèles" en version numérique, libre et gratuite (ici).



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