Nathalie Palayret
La bibliothérapie en pratique : Regarder la télévision

D'abord, un texte à lire lentement, tranquillement. Le mieux, c'est encore de lire à voix haute, même si on croit qu'on ne lit pas bien. On lit, on relit encore.
D'abord on veut comprendre le sens puis on devient sensible au rythme et à la poésie du texte.
[A télécharger sous forme de fiche pratique en format PDF en cliquant ci-dessous.]
Mon père regardait la télévision, assis d’un côté du canapé décati de l’appartement, dans un coin complexe édifié au prix d’un immense détachement par rapport aux choses de ce monde.
Il ne s’installait pas au milieu du canapé, mais sur le côté, comme à la recherche d’un abri, d’un repaire. Il se posait en quelque sorte en déserteur, le poste de télévision devant lui. Il s’asseyait presque au bord du canapé, là où il prenait fin, sur la falaise, en espérant tomber, une chute qui lui accorderait le don de l’invisibilité.
Pourquoi ne s’asseyait-il pas au centre du canapé ?
[...]
Un canapé devant un téléviseur, et sur l’écran se déroulait la vie d’autrui, ces êtres humains qui avaient parié sur le mouvement, l’activité. Ils changeaient le monde ou du moins essayaient : ils passaient à la télévision. Je ne pense pas que mon père ait envié les hommes qu’il voyait à la télévision, qu’il ait convoité leur existence, leur travail ou leur popularité. Il avait renoncé à la convoitise et j’aimerais faire de même. Mais il les regardait avec curiosité, à croire que tout ce qui était diffusé à la télé le distrayait de terribles réalités.
[...]
J’aimais regarder la télé avec lui. Nous avons passé plus de quarante ans à regarder la télévision ensemble.
C’est la meilleure chose qu’on puisse faire avec l’être aimé : regarder la télévision en sa compagnie. C’est comme voir l’univers. Contempler l’univers à travers la télévision est un cadeau que la vie nous a fait. Un cadeau de rien du tout. Pas grand-chose, mais nous en profitons. Nous aurions pu nous prendre la main, mais nous aurions alors détourné notre attention des images.
Des centaines d’émissions ont défilé, des centaines de séries, de films, de journaux télévisés, de documentaires, de jeux-concours, de débats, de flashes d’information, et les années, les lustres, les décennies ont passé.
Tout était là, sur le petit écran.
C’était comme si nous avions surveillé le monde par l’intermédiaire du téléviseur. Nous étions deux gardiens. Mon père était le maître, moi le disciple. Nous surveillions la vie, la mer, les étoiles, les montagnes, les chutes d’eau, les baleines, les éléphants, les sierras, la neige, les vents.
Extrait de "Ordesa" de Manuel Villas, traduction de Isabelle Gugnon
A votre tour de vous regarder devant la télévision
Vous pouvez rédiger un court texte qui commencera par cette phrase :
"Tout était là, sur le petit écran".