Nathalie Palayret
Dans la bibliothèque de la bibliothérapeute : Le romancier et ses personnages
Un texte de François Mauriac paru en 1933 et disponible en livre de poche.

Dans ce très court essai, l'auteur de "Thérèse Desqueyroux" et "Le nœud de vipères", pour ne citer que ces romans les plus connus (et peut-être ceux qui sont encore lus...) revient sur la création et la place des personnages dans le roman.
"Les héros de romans naissent du mariage que le romancier contracte avec la réalité".
L'écrivain n'est pas un démiurge qui créé la vie à partir de rien, tout au contraire. Seuls l'observation qu'il a fait du monde depuis sa plus petite enfance et les souvenirs qu'il a enfouis en lui depuis cette époque lui permettent de créer ces personnages.
On ne crée bien que ce que l'on connaît. Mais au-delà des souvenirs qui fournissent le squelette du personnage, c'est le travail de l'écriture qui y ajoute la chair. A ce que l'observation lui a fournit, l'auteur ajoute bien sûr une part de lui-même. Mais surtout, il va explorer tous les possibles qui n'ont pas été vécus, ouvrir toutes les portes qui s'étaient fermées dans la vie réelle.
"L'art du roman est, avant tout, une transposition du réel et non une reproduction du réel".
Si le personnage du roman emprunte ses traits à l'auteur ou à une personne qu'il a rencontrée, ses traits sont à la fois simplifiés et amplifiés dans l'oeuvre. Il ne s'agit pas de répliquer l'humanité dans toute sa complexité (chose au demeurant impossible) mais d'en présenter une image "transposée et stylisée".
Le roman est un mensonge : les personnages s'y livrent à cœur ouvert, s'expliquent (là où, dans la vraie vie, rien ne se dit), se confient et même s'analysent devant le lecteur. Mais parce que leurs passions y sont livrées avec exagération, il est permis au lecteur de mieux les étudier.
"Ces personnages fictifs et irréels nous aident à mieux nous connaître et à prendre conscience de nous-mêmes".
Pour Mauriac, les plus grands romanciers ont crée des personnages fictifs qui détiennent une vérité, par cela-même qu'ils sont irréels. Mais cette vérité n'est pas la même pour chaque lecteur et il appartient à chacun de nous d'approcher sa vérité. Appliqué à la bibliothérapie, il devient évident qu'il n'est pas possible de "prescrire" un même roman à tous les lecteurs en prétendant en obtenir les mêmes effets (comme semblent le supposer les manuels de bibliothérapie qui vous recommandent de lire "Madame Bovary" pour guérir, au choix, du chagrin d'amour ou de la mononucléose).
Car c'est en cela que le travail du bibliothérapeute consiste : accompagner le lecteur dans sa rencontre avec le roman. Faire avec lui les travaux d'approche. Cheminer dans l'oeuvre à ses côtés et lui permettre d'entendre ce qu'un personnage a de singulier à lui révéler.