Nathalie Palayret
Dans la bibliothèque de la bibliothérapeute : La bouche pleine de mots
Un roman de Camilla Gibb, traduit par Gabrielle Rolin, paru aux éditions Plon

Il existe toutes sortes d'enfances, de la plus insouciante à la plus fracassée. Il existe aussi plus d'un chemin de résilience et parmi tous ces chemins, Camilla Gibb a choisi celui de l'écriture.
"Me taire est d'ordinaire le seul choix qui me reste. "
La petite Thelma, double presque transparent de l'autrice, est l'héroïne de son premier roman.
C'est d'abord une petite fille qui ne peut pas partager ce que son père lui dit de taire. Alors, elle utilise le jeu et met en scène ses amies imaginaires pour mettre au jour ce "rôle" que lui fait jouer son père.
"- On va jouer au bureau. On est au travail, je suis ton patron et tu es ma secrétaire.
Il me glissait dans la bouche sa langue qui sentait le tabac et frottait sa joue rugueuse contre la mienne".
De cette bouche forcée et que le père voudrait sceller, Thelma finit pourtant par faire naître les mots et le père est, un temps, condamné à l'exil. Mais la libération n'est pas totale et, si les mots ont pu sortir, c'est bientôt la nourriture qui ne pourra plus entrer.
"J'ai décidé d'être mince, petite, rigide comme une brindille et de me cacher hors de la vue du monde".
Hospitalisée pour anorexie, Thelma rencontre la jeune Molly dont le corps porte les stigmates de la maladie. Une première pierre est posée sur le chemin d'une amitié qui reprendra son cours bien des années plus tard. Et c'est sans doute la force de ce roman que de montrer que le chemin de la résilience est long, tortueux, s'égare dans des impasses avant de déboucher sur des clairières ensoleillées.
"Nous n'avons guère de langage commun mais je sais que mes semblables m'entourent, à mon étage, à l'étage en-dessous, toutes en train de livrer leurs dures batailles personnelles."
La résilience d'un individu se construit sur des rencontres avec des personnes qui pourront jouer le rôle d'étayage. Thelma pourra s'appuyer sur une institutrice qui l'encourage à écrire son autobiographie. Un couple de voisins, une assistante sociale, un professeur... prendront ensuite le relais, sans oublier Suresh, le nouveau petit ami Sikh de sa mère qui lui révèle le pouvoir immense de l'imagination.
"Je me souviens, reprit Suresh, d'une petite princesse qui perdit un jour son imagination. Elle se rendit compte qu'elle n'était pas une princesse du tout".
Thelma non plus n'a jamais été princesse, pas plus qu'elle n'a pu être la petite fille insouciante des enfances rêvées. Il lui restera, tout au long de ce roman quasi-autobiographique, à se construire, tant bien que mal, une vie de femme.