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  • Photo du rédacteurNathalie Palayret

Dans la bibliothèque de la bibliothérapeute : J'apprends l'hébreu

Dernière mise à jour : 12 mai 2020


Couverture du livre

Un roman de Denis Lachaud, paru aux éditions Actes Sud.

Frédéric n'a encore que 17 ans. Et pourtant il sent bien que, déjà, quelque chose se fissure :


"Longtemps j'ai réussi à me voiler la face. Puis un jour la vérité s'est révélée à moi dans son âpre nudité : je comprends de moins en moins ce que les autres me disent."

Le jeu de questions-réponses sur lequel reposent la plupart de nos conversations, Frédéric n'en saisit plus les règles. Alors, il fait ce que l'on fait quand on sent qu'on n'y arrive plus : il compense, il bricole avec les moyens du bord :

"Alors j'ai acheté le dictaphone qui me permet de transformer les mots dits en mots écrits, la pénombre orale en clarté sur le papier. Je lis et je relis les dialogues ainsi capturés par l'appareil, je les apprends par cœur même, histoire d'imprimer en moi la logique de leur enchaînement".

Frédéric reprend espoir quand il apprend que le travail de son père va de nouveau amener sa famille à changer de pays. En Israël, il va apprendre une nouvelle langue et cela va l'aider, il n'en doute pas, à remettre de l'ordre dans ce qui vacille en lui.

"L'hébreu va tout réorganiser. Il faut tellement penser autrement qu'il faut se retourner et lire dans l'autre sens, de droite à gauche. Peut-être que l'autre sens m'aidera à vivre avec plus d'aisance. Peut-être pourrais-je vivre l'épanouissement auquel chacun est en droit de prétendre si les mots se présentent dans l'autre sens".

Mais ce déménagement ne résout rien, bien au contraire. Les voix qui parlaient à Frédéric quand il vivait encore à Berlin ne se sont pas tues. Elles lui dictent son parcours dans Tel-Aviv, lui interdisent certains quartiers et dessinent le territoire de sa géographie intime.


"Il faudra qu'on m'explique un jour comment on bloque une voix qui vous envoie des messages par la gauche et par la droite en même temps. Moi, personnellement, tout seul, sans aide ni soutien, je n'y arrive pas".

L'adolescent n'envisage qu'une seule issue : quitter sa famille et son territoire. Mais cette fugue qui révèle à ses parents l'ampleur de sa détresse, va sceller son destin. Le jeune homme intelligent et cultivé qui n'aspirait qu'à vivre en paix devient un patient parmi les autres au sein d'une unité psychiatrique.


Denis Lachaud nous offre un livre comme on propose une errance. Le lecteur qui acceptera de se perdre dans le territoire de ce roman ne le regrettera pas. Et il se souviendra longtemps de ce jeune homme de 17 ans que l'avenir a trahi :


"Quand je serai assez fort, quand le jour sera venu, je me réveillerai, le soleil se lèvera sur le premier matin, je quitterai ceux qui m'étouffent et m'emploierai à revendiquer, jour après jour, la couronne qui me revient, la couronne de celui qui est moi".


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