Nathalie Palayret
Dans la bibliothèque de la bibliothérapeute : Ce genre de petites choses
Un (court) roman de Claire Keegan, traduction de Jacqueline Odin, paru aux Sabine Wespieser

Quelques jours avant Noël, quelque part en Irlande au milieu des années 1980. Bill Furlang a la quarantaine, une femme et cinq filles. La vie sans histoire d'un entrepreneur marchand de charbon qui commence à réfléchir à "ce genre de petites choses" qui font une existence.
"Tout ce qu'il voulait, c'était garder une attitude discrète et conserver l'estime des gens, subvenir au besoin de ses filles, les voir poursuivre et achever leurs études à St Margaret, le seul établissement secondaire convenable de la ville. "
Bill Furlong n'est pas le genre d'homme qui fait des histoires et, jusqu'à présent, il n'était pas du genre à se poser beaucoup de questions non plus. Mais les circonstances vont lui donner un petit coup de pouce. Devant la crise qui ronge sa petite ville irlandaise, comment ne pas s'indigner de la misère qui pousse les enfants à mendier ? En cette veille de Noël, comment ne pas s'interroger sur ce qu'est la charité ? Mais, surtout, quand on a découvert par hasard dans le hangar à charbon du couvent une jeune fille maltraitée, comment ne pas choisir de devenir un homme ?
"Il avait bientôt quarante ans mais n'avait pas l'impression d'arriver à quoi que ce soit ou de faire le moindre progrès et ne pouvait s'empêcher de se questionner parfois sur l'utilité des jours".
Les jeunes filles recueillies par les religieuses du Bon Pasteur sont des filles mères contraintes à travailler à la blanchisserie qui assure de confortables revenus au couvent. Leurs bébés leur sont confisqués et confiés (probablement vendus) à de respectables familles. Bill est lui-même le fils d'une fille-mère qui a échappé à ce destin grâce à Mrs Wilson, riche veuve qui l'employait comme domestique. Il ne peut donc être insensible aux appels à l'aide des pauvres filles du couvent.
"M'sieur vous voudriez pas nous aider ? Emmenez-moi seulement jusqu'à la rivière. Vous n'avez pas besoin d'en faire plus. J'ai qu'un seul putain de rêve : me noyer. Vous pouvez pas faire ça pour nous ?".
Une épouse qui lui répond qu'ils ne sont pas concernés et que leurs filles à eux vont très bien, une patronne de restaurant qui le met en garde contre la puissance des religieuses. Bill entend ces conseils et mises en garde mais il fait un choix : celui de se mettre à l'écoute d'autre choses. Qu'on appelle cela "instinct", "conscience, "sens du devoir"... ou simplement "crise de la quarantaine", cette voix-là lui dit qu'il est tant d'agir. Assister à la messe en hypocrite ne peut suffire à faire de vous un homme bon, et Furlong est amené à devenir un homme bon. Il est prêt pour cela à dépasser les obstacles, à affronter les rumeurs et s sa propre famille. Il est même prêt à lutter contre la "part ordinaire de lui-même qui voulait seulement se débarrasser de cette histoire".
Le court texte de Claire Keegan n'est pas sans rappeler les contes de Noël de Charles Dickens. Mais Bill Furlong est bien plus attachant que Scrooge ("Un chant de Noël") parce qu'il est plus proche de nous, moins caricatural sans doute. Comme lui, nous sommes parfois amenés à lutter contre la part ordinaire de nous-même, à faire avec courage et détermination, "ce genre de petites choses" qui nous mettent la joie au cœur.