Nathalie Palayret
Bibliothérapie : tendre un miroir au lecteur ?

Un étudiante travaillant pour un mémoire sur la question "Que peuvent apporter les personnages fictifs en thérapie ?" a eu la gentillesse de me solliciter au travers d'un questionnaire sur ma pratique de bibliothérapeute.
Les réponses que je lui ai apportées et dont je tire cet article, ne sont en aucun cas des prescriptions. Je n'ai pas titré "Faut-il tendre un miroir au lecteur ?" : je n'ai pas de réponse péremptoire ni de théorie à exposer. je me contente simplement de partager des réflexions tirées de ma pratique de bibliothérapeute.
Il est important de rappeler ici que la bibliothérapie est basée sur une "relation à trois" : le livre, le lecteur et le bibliothérapeute. Dans ce cadre, le livre qui va âtre proposé par le bibliothérapeute acquiert un statut qu'il n'a pas quand un lecteur le choisit tout seul dans les rayons d'une librairie. Il y a, dans la relation bibliothérapeutique quelque chose qui s’apparente à une "prescription" et qui doit obliger à la prudence. C'est une chose que de lire un livre que l'on a choisi seul, c'en est une autre de le lire dans le cadre d'un entretien avec un bibliothérapeute : l'acte de médiation n'est jamais neutre.
J'accorde beaucoup d'attention à l'entretien téléphonique qui précède toute séance de bibliothérapie. Il m'est indispensable pour connaître les raisons qui ont poussé mon interlocuteur à faire appel à la bibliothérapie. Qu'est-ce qui aujourd'hui fait problème ? Quelles difficultés sont devenues sources de souffrance ? Qu'il s'agisse d'un deuil, d'une séparation, d'un sentiment de perte d'envie ou d'énergie... ce que le lecteur me raconte fait forcément écho en moi à des lectures et à des personnages de fiction.
Mais le parallèle entre le parcours du lecteur et celui d’un personnage fictif est délicat. Il peut s’appuyer sur des éléments biographiques qui semblent objectifs : mon interlocuteur qui souffre de troubles de l'alimentation peut m'évoquer spontanément le personnage de “Jours sans faim” de Delphine de Vigan. Il peut alors sembler pertinent de lui conseiller la lecture d'un livre qui serait comme un miroir tendu dans lequel il se reconnaîtrait.
Je suis persuadée pour ma part que "tendre un miroir" peut être d'une très grande violence et je ne conseillerais pas la lecture de “Philippe” de Camille Laurens à un parent qui viendrait de perdre son enfant (qu'il le lise de sa propre initiative est très différent de se le voir conseillé dans le cadre d’une relation bibliothérapeutique).
Un autre argument contre la recherche du "personnage-miroir" est qu'elle s'appuie sur ce que le bibliothérapeute a entendu du récit du lecteur et sur les éléments qu'il a choisi (parfois sans le vouloir vraiment) d'en retenir. Ces fameux "éléments objectifs de biographie" ne le sont sans doute pas tant que cela est le miroir tendu risque bien d'être déformant.
Il me semble plus pertinent de chercher dans le parcours d’un personnage fictif ce qui peut faire écho, non pas à des faits biographiques, mais à des sentiments et à des émotions. Ainsi le personnage de Robinson dans “Vendredi ou la vie sauvage” de Michel Tournier (je préfère, et de loin, cette version à celle de Daniel Defoe tant la prose de Michel Tournier est ici proche de la poésie) peut bien évidemment faire écho à un sentiment de solitude. Mais ce texte est suffisamment riche et métaphorique pour faire naître des émotions que l'on n'attendait pas. Robinson veut absolument maîtriser son environnement, pense que seule la discipline lui permet de conserver sa dignité humaine... Robinson a oublié comment on sourit et en retrouve le souvenir grâce à son chien... Robinson rencontre et nomme Vendredi... Et si Robinson semblait bien loin de nous sur son île déserte, par la grâce de la lecture, voilà que son histoire fait écho à la nôtre.
Les textes que je vais sélectionner et proposer dans une séance de bibliothérapie doivent impérativement porter en eux cette possibilité de surprise. Ils doivent nous emmener, le lecteur et moi, sur des chemins que nous ne pensions pas emprunter. Nul besoin pour cela qu'ils mettent en scène des personnages qui ont vécu les mêmes tourments que le lecteur. Il leur faut d'abord porter en eux cette force métaphorique ou polysémique que permettent la littérature et la poésie.
Il ne s'agit pas alors de tendre un miroir au lecteur, mais comme Alice qui est revenue du Pays des merveilles, de l'accompagner pour aller voir ce qui se trouve "de l'autre côté du miroir".