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  • Photo du rédacteurNathalie Palayret

Quand récitation rime avec acceptation (de l'autre)

Dernière mise à jour : 12 mai 2020


Retour sur un cycle d'ateliers de bibliothérapie en Ehpad

Les ateliers de bibliothérapie en Ehpad permettent de solliciter la mémoire et la créativité des personnes âgées. Mais ce sont aussi des occasions de travailler, avec le texte littéraire comme support, les relations entre les résidents. Le Champ de l’orme* accueille des personnes âgées dépendantes. Carine y est depuis peu responsable des animations. Elle a déjà travaillé dans d’autres Ehpad et est surprise par l'agressivité qui sous-tend les relations entre les résidents de cet établissement. C’est autour de cette problématique que nous programmons 7 ateliers de bibliothérapie. À chacune de mes visites, Carine réunit de 6 à 8 personnes. Si le “noyau” des participants est plutôt stable, il peut varier d’une semaine à l’autre en fonction de l'état de fatigue de chacun. À chaque séance je me présente et je rappelle que nous sommes réunis pour écrire tous ensemble. Si c’est moi qui tiens le stylo, le texte intègre les suggestions de tous les participants. Pour notre premier rendez-vous, je suis venue avec un texte sur la douceur (les paroles de la chanson “Je t’aime” de Anne Sylvestre). Je propose que l’un des participants nous en fasse la lecture et Didier se porte volontaire. Pendant sa lecture, j’entends des commentaires peu amènes : “il ne lit pas bien”, “il ne lit pas assez fort”, “on ne comprend rien à ce qu’il dit”. C’est vrai que Didier ne parle pas fort et que certains parmi nous ont des troubles de l'audition très prononcés. Mais toutes ces remarques sont désobligeantes et je ne peux que partager le constat de Carine sur les relations tendues entre les résidents. Je fais le choix de ne pas faire de rappel à l’ordre. Donner des leçons de politesse me placerait dans une posture impossible à gérer. Mais surtout, si je ne rappelle pas explicitement les règles du vivre-ensemble, c’est parce que c’est justement le vivre-ensemble qui pose problème ici. Vivre en Ehpad n’est pas un choix de vie ou, quand il l’est, c’est un choix résigné et par défaut. Monique nous confiera plus tard : “le jour où mes enfants m’ont amenée visiter l'établissement et m’ont demandé ce que j’en pensais, j'ai compris que je n’aurais pas le choix”. Les handicaps lourds des uns, les démences des autres, offrent à chacun le spectacle de ce qu’il pourrait devenir. J’ai le sentiment que c’est là le ressort des remarques agressives qui me sont données à entendre. C’est donc autour des capacités de tous et de ce que chacun peut apporter au groupe que je choisis d’axer les ateliers de bibliothérapie. Ainsi, à la fin de la première heure, je propose un thème pour la semaine suivante : le voyage. Et je récite de mémoire ce premier vers d’un poème de Joachim du Bellay : “Heureux qui comme Ulysse…”. Ce sont Denise et Mireille qui vont terminer le poème, à tour de rôle, la mémoire de l’une venant à la rescousse des oublis de l’autre. Chaque atelier commencera ainsi autour d’un poème choisi en fonction du thème de la séance. Il s’agit à chaque fois d’un texte classique dont je suppose que les participants ont pu l’apprendre à l'école. Je prépare à chaque fois deux ou trois propositions et lance le premier vers d’un poème en espérant que quelqu'un s’en saisira. “Mignonne allons voir si la rose” (Ronsard), “Le laboureur et ses enfants” (La Fontaine)... sont ainsi récités à plusieurs voix. Ces souvenirs d’enfances sont des souvenirs partagés par des personnes qui pensaient n’avoir rien en commun. Elles s’écoutent enfin et leurs voix se répondent. Et lorsque Michel déclame d’une traite et sans hésitation “Sensation” de Arthur Rimbaud (“Par les soirs bleus d’été…”), ce sont des compliments unanimes qui se font entendre. Le recours à la poésie se fait ici par ce qu’elle a de plus classique : les récitations que l’on apprend par cœur à l'école. Ce sont des textes qui ont créé, chez des générations d’enfants, un savoir commun. Bien des années plus tard, ce savoir reste encore mobilisable et la rythmique sous forme de ritournelle propre à l'apprentissage des récitations y est sans doute pour beaucoup. Mais surtout, bien des années plus tard, ce savoir commun offre encore des occasions d'échange et de partage. *le nom de l’Ehpad et les prénoms des participants sont modifiés


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