Nathalie Palayret
À l'école des personnes âgées : rencontre avec Jacques Gouin
Dernière mise à jour : 12 mai 2020

Le Parvis, Saint-Nazaire, 14 novembre 2017
C'est un homme discret mais pas effacé, âgé mais pas vieux, à la voix ferme et posée. Il vient partager son expérience de prêtre, formateur et diplômé en gérontologie. Son livre est riche de 25 ans d'expérience et il en explique ainsi le titre :
"Les personnes âgées ont quelque chose à nous apprendre et ce quelque chose c'est : comment pouvons-nous prendre soin d'elles".
Aux questions du public, Jacques Gouin répond que la parole de la personne âgée doit être entendue. C'est la seule façon d'éviter que le désir de l'aidant ne vienne se substituer à celui de la personne fragilisée.
"Je veux que ma mère participe aux activités de la maison de retraite"
"J'essaie de la faire parler"
"Je lui dis qu'elle devrait rencontrer des gens"
"Ce serait mieux pour lui"...
Les familles sont pleines de bonne volonté et leur envie de faire au mieux est indiscutable. Mais il reste parfois peu de place pour le désir de leurs parents : envie de solitude, de calme et parfois, envie de mourir. C'est ce désir qui est le plus difficile à entendre. Nous devons pourtant nous y contraindre et en saisir toute l'ambiguïté.
"Je ne veux plus rien manger pour me laisser mourir" et quelques minutes plus tard : "alors, on va nous le servir enfin ce déjeuner ?"
"Je veux qu'on me fiche la paix, qu'on me laisse mourir" et quelques minutes plus tard : "ça fait trois jours que j'ai appelé le docteur, qu'est-ce qu'il attend pour venir me voir ?"
Comme chacun d'entre nous, la personne âgée éprouve des difficultés à identifier son désir. Il faut encourager son expression pour l'aider à démêler cette ambiguïté. S'exprimer est un besoin primordial. Le grand âge est synonyme de perte (audition...), de déficience et de pathologie. Mais une personne qui n'est plus autonome dans les gestes du quotidien doit rester libre de ses pensées. Nous devons l'encourager à exprimer ses désirs et à envisager elle-même son avenir. Dans le cas contraire, si l'aidant prend le pouvoir (l'expression est de Jacques Gouin), il est logique que la personne âgée réponde par de la révolte.
Être à l'écoute expose parfois à entendre des récits que vient contredire la réalité, ce que l'on appelle communément des mensonges.
"Hier je suis allé rendre visite à une amie".
"Je suis tout à fait capable de m'occuper tout seul de mon ménage".
Jacques Gouin insiste sur l'importance de ce monde fantasmé.
Il n'est pas notre monde réel, mais c'est lui qui permet à la personne âgée de vivre. L'obliger à quitter son monde, c'est bien souvent l'amener à mourir, à quitter le monde.
Il nous semble souvent que la personne âgée vit tournée vers le passé. Elle ne parle que de l'ancien temps, elle radote. Paradoxalement, explique Jacques Gouin, c'est en racontant son passé qu'elle construit son identité. En replongeant dans ses souvenirs, même transformés par une mémoire altérée, elle peut répondre à la question : "Qui suis-je ?". Raconter son passé s'inscrit dans un projet de construction d'identité.
La tâche des aidants est ardue et souvent ingrate. Voisin, parent ou bénévole, Jacques Gouin insiste sur la nécessité d'être formé et de travailler en équipe (au sein d'un établissement ou d'une association). Il faut pouvoir échanger sur ce dont on a été témoin dans la relation avec la personne âgée et s'obliger à se questionner.
L'apport essentiel de cette rencontre se situe dans cette idée inlassablement répétée par Jacques Gouin : dans la relation d'aide, il ne faut pas vouloir pour l'autre, mais lui créer les conditions nécessaires à l'expression de son désir propre.